Histoire
"Hécate, protectrice, gardienne, guide, viens parmi nous et étends ton égide."
l'Ordre d'Hécate
Depuis sa plus tendre enfance, Anastasia se sentait à l'écart des autres. C'était là le résultat de la combinaison implacable de sa répulsion pour autrui, et de la peur prudente que ces derniers éprouvaient à son égard.
Pourtant, son caractère n'était pas le problème, il la distinguait plus qu'autre chose : Anastasia était une fillette sage et flegmatique, dotée d'une curiosité qu'elle n'avait de cesse de tenter d'assouvir. Mais la donne demeurait la même, il y avait comme une espèce de gouffre entre elle et ses camarades. Il était bien plus probable de la trouver en train d'esquisser des symboles cryptiques sur son petit carnet fétiche que de l'apercevoir en train de socialiser ou de se pavaner dans le bac à sable.
« Que fais-tu, ma chérie ? » était une question que sa mère, la majestueuse Katherine Blackwell, lui posait souvent. Et elle se heurtait presque toujours à cette réponse innocente : « Rien maman, je dessine. »
Mais Katherine n'était pas dupe. Il ne fallait pas être un génie pour savoir que, généralement, ce sont des jardins, des fées ou des scènes mondaines que les petites filles aiment dessiner. Certainement pas ce florilège de runes antiques et ces calligraphies obscures... Elle connaissait la racine de tout cela, mais était jusque-là persuadée que celle-ci porterait ses fruits plus tard. La magie qui irriguait le sang d'Anastasia commençait déjà à lui monter à l'esprit, et cela terrifiait Katherine.
Lorsque, quelques mois plus tard, Stassie causa un incendie à son école suite à une rafale d'émotions fortes, elle ne put dire qu'elle était surprise. Juste viscéralement effrayée, et tenue par son devoir de protéger Stassie d'elle-même et des autres. Elle prit la décision radicale de lui interdire le droit de sortir et de lui enseigner tout ce qui devait l'être nul autre par qu'au foyer familial.
Même si la solitude de la jeune Blackwell lui était plus réconfortante qu'autre chose, ça n'empêchait que cela alourdissait ses journées — qu'elle passait enfermée chez elle. Certes, la compagnie de ses sœurs : Blair, Nora, Syara, Flora et Amber ne lui manquait pas. Mais elle avait comme l'impression qu'elles saisissaient mal ce qu'elle s'efforçait d'exprimer chaque jour. Elle fit donc le choix instinctif de se mettre à la peinture, pour évacuer tout ce qui folâtrait dans son cerveau sur la toile. Et ce fut sans surprise qu'elle y excella.
Elle ne franchissait que très rarement l'usé et vermoulu parquet des combles désormais habités. Le grenier était devenu l'une des seules pièces qu'elle accédait depuis ses troubles événements ; elle était devenue amie avec le soleil et les pinceaux bien utilisés à maintes reprises pendant de longues journées. Une décision que sa mère avait prise pour la protèger et protéger tous les autres : même si la petite était chagrinée de devoir rester dans ce bien pitoyable endroit, sa mère ne cédait pas. Anastasia avait pourtant un réel espoir quant à l'évolution de ses nouvelles conditions de vie.
Comme exaucé par le Divin, son vœu avait été finalement établi. Après une brève conversation, Anastasia avait eu le bonheur de retrouver — non pas intégralement, les joies du reste de l'habitat sans pour autant avoir de pleines libertés. Elle sortait bien plus souvent dans le reste de la maison lorsque sa famille quittait le domaine : un grand plaisir qu'elle décida de profiter excessivement, vidant son esprit derrière une fenêtre ouverte du séjour. Plaisir épicurien sans pour autant laisser ces intenses désirs prendre contrôle du corps.
Durant ses journées passées dans le grenier, l'enfant s'exprimait davantage par le biais de l'art : elle parlait moins et peignait plus. Talentueuse, elle savait harmoniser les tons comme personne et s'en vantait bien assez dans son coin. C'est ce qu'elle faisait au début, puis d'autres commentaires s'ajoutèrent aux siens : non pas ceux de la jeune, mais d'autres tout aussi bienveillants et admirables. Des voix sorties de nulle part lui répondaient, d'une étrange gentillesse déconcertante. Un effet de surprise, les premières fois, qui s'avère être devenu une grande habitude. Elle avait délaissé les conversations avec elle-même ou le soleil pour s'intéresser aux déchues vies de ces esprits invisibles. La jeune était ravie : elle discutait davantage avec des personnes qui la comprenaient et savaient comment captiver ses sens.
Ce n'était pas le seul étrange phénomène. Parfois concentrée sur ses toiles, elle fuyait le blanc de ces dernières pour réfléchir au loin. Un anodin regard posé sur une étagère vide, finalement redressé sur son art puis reposé au même endroit. Une étagère désormais complétée par l'ajout volatile et complètement inédit par un livre. Ces événements n'étaient pas fréquents mais étaient exceptionnels à chaque fois : un regard détourné suffisait. Ces livres n'étaient jamais identiques, la forme comme le contenu étaient à chaque fois complètement différents. Une rapide lecture suffisait à Anastasia pour y découvrir de bien sombres secrets. C'était une grande aventure vers l'univers étrange des grimoires oubliés, ceux qui sortent de nulle part dans un grenier banal mais habité par une Ulysse en bas âge.
Elle avait eu ouïe de l'excitation de ses soeurs, rejoignant celles-ci pour questionner sa mère qui était toute aussi contente. Ces dernières avaient saisi l'opportunité et comptaient rejoindre un bal : la petite avait alors demandé à sa mère si elle pouvait aussi rejoindre cette soirée. La mère refusa, ayant parfaitement conscience des dangers que représentaient sa jeune fille. Elle s'enragea aussitôt suite à la décision se sa mère, assez capricieuse. La mère, perdue et totalement dépourvue avait essayé de la faire rejoindre sa chambre mais sa colère était d'une fureur déconcertante. N'ayant plus la patience et les moyens nécessaires, elle finit par appeler la déesse de la magie,
Hécate.
Son arrivée avait causé troubles chez Anastasia. Des révélations avaient été faites : la déesse était en réalité la mère biologique de la petite, une union protégée des Divins et du danger juré imprononcé. Elle avait été transporté dans l'utérus de Katherine quand elle n'était presque qu'un minuscule foetus. Âme et corps si petits pourtant si dévastateurs.
La Prêtresse usa finalement d'une brume ensorcelée, divinement miraculeuse qui sauva les souvenirs terribles de la dernière. Ces soeurs l'oubliaient et cette dernière fut emmenée chez une sorcière, Circé. La déesse les joignaient ainsi sur une île lointaine, déjà franchie par un autre demi-dieu. La magicienne, dont l'art demeure encore presque un culte à mystères, avait appris à la demi héroïne à contrôler les pulsions chaotiques de son pouvoir. Cela avait été ajouté par l'enseignement d'arts ancestraux demeurant encore bien mythiques. Cette grande besogne de plusieurs mois une fois accomplie lui a ainsi permis de devenir une puissante sorcière faisant d'elle la nouvelle Gardienne de la magie...