C'était une soirée orageuse, voire même foudroyante. Il n'y avait personne à Half-Blood Hill. Il n'y avait que Blair et les autres Blackwell : Nora, Syara, Hannah et Elias. Elle était vêtue de son débardeur noir, surmonté de sa veste en jean blanche derrière laquelle deux épées entre-croisées étaient brodées. Ses petites Dr. Martens bravaient la tempête en courant le plus vite possible.
Le bruit puissant de la pluie et les vents titanesques la ralentissaient, mais elle ne faiblissait pas.
Parce que lui non plus, ne faiblissait pas.
Ce cri strident, venu de l'autre bout de la colline, si aigu, si brisé. C'était un véritable concert de terreur et chaque son qui retentissait prenait une inflexion encore plus apeurée.
Blair était l'embrassement du feu et de la glace ; un mélange explosif entre la ruse froide et sanglante et la haine qui embrasait ses pensées. Mais pourtant, tous ces attributs qui la personnifiaient si clairement semblaient s'évaporer le temps d'une soirée.
Parce qu'elle ne pensait à rien d'autre que ce hurlement effrayant qui lui faisait dos. C'était une toute autre haine qui l'animait, une toute autre ruse qui trônait dans son esprit. Elle voulait juste sauver ses soeurs et son frère, plus elle se rapprochait de la barrière et plus l'hurlement monstrueux retentissait dans le bois, un hurlement en proie à la frayeur d'un orage violent et tumultueux.
Les cinq Blackwell parcouraient maintenant plusieurs mètres en quelques secondes sans une seconde de répit.
- LE CAMP! On y est presque! Hurla Nora mêlant désormais ses hurlements à des sanglots bruyants en continuant de fuser vers la barrière magique face à elle.
Blair n'avait même pas encore saisi ce que voulait dire sa soeur que déjà, une ombre large les recouvraient.
Les sons revinrent - chaque goutte de pluie qui heurtait le goudron provoquait un plop inquiétant.
La brune fit volte-face et amena sa main droite à la poche de sa veste en cuir. Elle en ressortit un poignard au teint argenté, rayonnant et surtout tranchant. Dans sa main, cette arme était comme un accessoire. Cette lame lui allait parfaitement et elle en avait fait fuir plus d'un rien qu'en le brandissant. Mais quand elle passait à l'attaque, c'était une toute autre histoire.
- Je m'occupe d'eux, vous, partez en avant! Annonça Blair tout en se stoppant dans sa course effrénée avant de faire volte-face à l'immense géant qui vient aussitôt à lui faire face. Il lui suffit d'un regard pour comprendre qu'elle n'allait pas ressortir vivante de ce duel. Mais ça ne l'arrêta pas, pas même une seconde.
C'était une véritable chorégraphie de sang et de mutilations. Blair, une fois en plein combat, semblait tourbillonner et offrait un spectacle croustillant. Elle n'avait qu'à agiter son poignard et il avait l'air de faire tout le travail ; elle était gracieuse et meurtrière.
Il était énorme. Il la surplombait de plusieurs mètres et son visage sombre ne détenait aucune lueur de pitié. Son corps, grisâtre, était recouvert de poussières et de griffures. Contrairement aux autres adversaires de Blair, celui-là ne fuyait pas. Il était planté devant elle, les poings serrés.
Blair jeta un bref regard à sa droite et aperçut ses soeurs aidant Elias à se relever, mais le géant les vit aussi. Il tendit son gigantesque bras droit, dans le but d'en attraper une, mais le geste se fit tout seul.
Sa lame vint trancher la peau noire de ce monstre effroyable et elle s'élança dans les airs, pourfendant tout ce qui était devant elle de son poignard. Elle ré-atterrissait au sol et levait aussitôt sa bottine pour frapper la cheville droite du géant.
Naturellement, celui-ci ne broncha pas, mais ce simple geste le détourna de sa proie originelle.
La revoilà qui s'expulsait du sol pour mutiler le gros ventre du monstre. Celui-ci tenta de la saisir de son immense poing, mais sa lenteur permit à Blair de retomber au sol, intacte.
Le monstre rugit en se mettant à tendre les bras, les agitant désespérément en espérant heurter sa petite maligne d'adversaire.
Blair était intelligente et rapide, alors il ne lui fallut pas beaucoup de temps pour comprendre les mouvements du monstre et pour les éviter. Elle zigzaguait désormais devant lui, comme intouchable, comme intangible.
Puis elle courut derrière lui, plantant son poignard dans sa cuisse, s'y agrippant pour grimper sur le dos de la bête obscure. Ce gros balourd n'avait même pas encore cessé d'agiter bêtement les bras pour la choper.
À nouveau, il beugla quelques jurons incompréhensibles. Sentant le poignard perçant de Blair dans sa cuisse, il commença à tourner sur lui-même, de plus en plus rapidement. Pendant qu'il jouait à la toupie, Blair en profita pour regarder devant lui. Ces soeurs n'étaient plus là.
Elle sourit victorieusement et ce bref moment de distraction l'empêcha de tenir sur le bas du dos du monstre.
Elle se retrouva projetée un peu plus loin, s'écrasant lourdement contre le sol, faisant quelques roulades qui déchirèrent ses vêtements. Elle était désormais au sol, tenant cependant toujours aussi fermement son poignard.
Vue du ciel, Blair semblait emmitouflée dans une couverture de sang, un véritable lit douillet de mort et de ténèbres.
Sa vision était encore brouillée quand elle se releva.
Puis il y eut ce coup. Assourdissant, violent, abrupt. Elle avait eu, pendant un laps de temps, l'impression que son crâne était brisé. Un mal de tête terrible la prit de court, mais elle n'eut pas à souffrir plus longtemps.
Elle s'écroula peu après, sentant le goût âpre de la défaite sur ses lèvres. Elle serra son poignard d'une force incommensurable, jusqu'à sentir un picotement dans sa paume. Elle le serra comme si c'était la seule chose qui la poussait à rester en vie.
Ce fut un fils d'Hermès qui retrouva son corps, Théo Jones, alors qu'il entrait dans la serre, par une matinée de novembre pluvieuse. Et bien des années plus tard, il se souviendrait encore de l’expression qui déformait ses traits. De la terreur pure.
La colonie des sang-mêlés avait été créer comme un havre de paix pour les demi-dieux, un cocon les séparants des dangers du monde extérieur. C'était devenu une maison pour elle, ces enfants bénis par l'ichor divin, symboles d'une étrange union entre le prosaïque et l'épique. À l'annonce de la tragique nouvelle, tous comprirent que le temps de l'innocence était révolu.