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C'EST BEAU, les vagues,
et c'est réconfortant, le seul son de la mer pour s'entourer de silence.
mais pas aujourd'hui.
pour
LEIGH, c'est le pire jour de son existence. elle a cette fâcheuse tendance : celle de toujours en faire des tonnes, à se laisser aller à une hypersensibilité reniée, camouflée sous un mélodrame de sa propre signature — quelques siècles plus tôt, et elle aurait pu sans doute être
dramaturge, celle-ci.
malheureusement, c'est bien une des rares journées où elle aurait bien le droit de crier autant qu'elle le veut. la finalité est tristement la même. l'eau engloutira ses plaintes, et ses pleurs salés rejoindront un plus bien plus grand ruisseau, comme un ordre naturel déjà prédéterminé bien avant sa naissance.
LEIGH inspire, avant de plonger sa tête sous l'eau. là, submergée dans l'océan, ses épaules se secouent un moment, et elle crie.
les poissons en auraient presque peur. ses cheveux, malheureuses victimes d'une eau salée déconseillée aux teintures bon marché que la gamine utilise, gouttent de rouge sur sa peau. un filet rose pâle s'étend, depuis son dos, jusqu'à la mer, où il revient se jeter, encore une fois, dans un parfait
cyclisme.
elle émerge finalement lorsqu'elle en vient à manquer d'air. ce serait con de mourir comme ça après la déferlante qu'elle vient de se prendre. non, c'est vrai. c'est pas tous les jours qu'on apprend ce genre de trucs. sa condition de demie-déesse. une bonne partie des mystères de sa vie qui ne resteraient décidément toujours qu'hors de portée. pour l'heure, la fille de némésis serait incapable d'expliquer tout le mal qui l'atteint. la tragédie est immense, et le remède n'existe simplement pas. c'est comme chercher à attraper un grain de sable noyé dans l'océan : ça glisse entre les doigts à la première et à la dernière tentative. de toute manière, il ne lui reste plus assez d'énergie pour s'insurger contre quoique ce soit : sa gorge est déjà trop douloureuse d'avoir cherché à comprendre, pendant toutes ces années.
le soleil fout déjà le camp, lui.
bon débarras, elle pense.
ses doigts passent dans ses cheveux emmêlés.
sa poitrine se soulève à intervalles réguliers.
elle est dans un état pitoyable.
mais elle respire, et ça, elle en est sûre, plus que tout au monde.
la justice est cruelle,
et il y a du sang dans l'eau.